Action directe plaide politique
L’avocat a défendu des «terroristes en situation de défense légitime».
Que peut faire un jeune avocat, commis d’office à la défense de Max Frérot, qui a déjà deux perpétuités sur le dos et l’assume? Frapper fort, et Me Antoine Beauquier, qui craignait vendredi que la cour d’assises spéciale de Paris, qui juge depuis dix jours la branche lyonnaise d’Action directe, ne s’endorme, peut se rassurer.
La pente n’était pas facile à remonter. L’avocat général, Jean-Paul Content, a requis jeudi le maximum, trente ans de réclusion criminelle, contre les quatre membres du «noyau dur» d’AD, André Olivier, Maxime Frérot, Emile Ballandras et Bernard Blanc, pour 33 attentats commis à Paris entre 1982 et 1986. Ils ont déjà été lourdement condamnés à Lyon en 1989 pour une série de hold-up. C’est aujourd’hui pour Bernard Blanc que le réquisitoire est le plus sévère: il purge une peine de vingt ans, contre la perpétuité pour les trois autres. Il s’est refusé à l’audience à céder un pouce de terrain, et risque de le payer fort cher.
L’avocat général a requis trois ans contre Renaud Laigle, accusé de complicité dans deux attentats.Son avocate, Me Florence Watrin, s’est appliquée à montrer que le premier était prescrit et que sa participation dans le second n’était pas établie. Pour lui comme pour Mathieu Polak, contre qui l’accusation a demandé deux ans, si les peines sont confondues avec celles déjà purgées, le cauchemar se termine. L’avocat général a enfin requis six ans contre Joëlle Crépet, déjà condamnée à 18 ans.
Me Pascal Winter, son avocat, a expliqué que l’âme d’Action directe était partie avec ceux qui avaient quitté le groupe, y compris Joëlle qui a failli en sortir par le suicide. Il a été sévère pour «la mégalomanie» d’André Olivier, qui réclame une partie du prix Nobel de Nelson Mandela, et demandé à la cour qu’elle «aide Joëlle Crépet à revivre», parce qu’«on ne sort pas indemne des brûlures que vous a fait l’homme que vous aimiez».
C’est là que Me Beauquier a dû plaider, pour Frérot et ses trois camarades, avec vigueur et un zeste d’insolence qui a fait sursauter la cour. «Je vais plaider pour quoi? Max Frérot n’a que faire de votre indulgence. Vais-je faire mienne les théories d’Action directe? Non, Frérot dénonce la justice bourgeoise et le système auquel je participe.» AD n’est «ni une secte ni un groupe de voyous», mais «un groupe de combattants communistes maoïstes, de quatre hommes qui ont donné leur vie pour leurs idées». Quatre seulement: il a élégamment écarté les trois autres accusés, qui n’ont que de mauvais coups à prendre dans l’aventure. Petit passage convenu sur la Gauche prolétarienne et le livre d’Alain Geismar et Serge July, Vers la guerre civile.
«Les militants d’Action directe, eux, veulent encore changer le monde, insiste Me Beauquier. Ce sont des terroristes, en situation de défense légitime.» Le combat d’Action directe, «c’est d’abord le refus de l’injustice sociale». Ainsi, «si j’étais communiste révolutionnaire, assure Me Beauquier, n’aurais-je pas l’idée d’aller poser une bombe au RPR», puisqu’on meure encore de froid à Paris alors que la patrimoine de la ville est à la disposition de quelques privilégiés? «Si j’étais communiste révolutionnaire, n’aurais-je pas l’idée d’aller poser une bombe devant le parti socialiste» qui n’a pas donné suite aux avertissements du Dr Olivenstein qui réclamait pour les toxicos la vente libre des seringues, pour éviter la contamination par le virus du sida.
L’avocat a fait sursauter Françoise Rudetzki, présidente de SOS-Attentats et partie civile au procès, en assurant que Marie-France Vilela, aveugle depuis un attentat de 1982, n’aurait pas dû refuser d’entendre les explications d’Action directe, qu’elle leur avait ainsi fait «violence». Il a aussi eu un peu plus de mal à se dépétrer de l’antisémitisme de ses clients, réitéré pendant dix jours d’audience, mais a réussi à placer le nom de Simone Weil, l’auteur de la Condition ouvrière, sans faire tousser André Olivier, à évoquer Menahem Begin, terroriste devenu prix Nobel de la paix. Il a refusé de réduire AD à un «groupe de débiles mentaux antisémites, ce qui serait tellement simple, et arrangerait tellement de gens». Lundi, Me Attilio Baccioli, leur avocat, plaidera à son tour avant de laisser le dernier mot à ses clients. Qui auront fort à faire pour laisser d’eux une image aussi nette que celle de leur petit avocat commis d’office.
SOURCE : http://www.liberation.fr/france-archive/1995/07/01/action-directe-plaide-politiquel-avocat-a-defendu-des-terroristes-en-situation-de-defense-legitime_138745